L’arbitrage féminin togolais se fraye un chemin honorable dans le monde du football de nos jours. Sous ce sifflet porteur de fruits, se cache la première graine à travers laquelle tout a commencé. Cette graine est Aku Seedoé AKATO, la toute première femme arbitre de football au Togo. Le 28 février 1962 à Kpalimé, Seth Koffi Messan Amétépé AKATO et Félicia Adjowa MADÉAPÉ donnèrent la vie à une pépite d’antan devenue une légende sur le sentier des oubliettes aujourd’hui. Méconnue de plus d’un, L’Édito est allé à la rencontre de cette femme omnisport, 61 ans, monument du sifflet. Aujourd’hui mère d’une fille, du haut de ses 1m70 soutenus par une forme toujours athlétique où les rides témoignent du poids de l’âge, Aku Seedoé AKATO, Rejoice pour les intimes, nous a ouvert le 29 novembre 2023, son journal intime dans un entretien exclusif. 

L’Édito : Bonjour madame, vous êtes le premier arbitre féminin du Togo, quel effet cela vous fait ? 

Aku AKATO : C’est un honneur pour moi d’être la première femme arbitre dans le domaine du football. Quand je sors, certains me reconnaissent et c’est un sentiment de fierté pour moi.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée au sport en général et à l’arbitrage en particulier ? 

Je suis issue d’une famille sportive. Mon papa était un ancien joueur de football de l’Etoile Filante de Kpalimé quand il était enseignant dans ladite localité. Mes trois grands frères étaient des sportifs. Louis dit « Puma Puma » était arbitre et entraîneur. C’est lui qui m’a amené au sport. Il y a aussi Samuel qui a joué à l’OPAT, ASFOSA et Wisdom qui a également joué à l’OPAT. Donc mes frères et moi discutions du sport. 

Quand avez-vous arbitré pour la toute première fois ? Racontez-nous vos débuts…

J’ai commencé le sport en 1972 à l’âge de 10 ans. Je me suis intéressée premièrement au football. J’ai donc joué au football et j’étais défenseuse centrale. Au même moment, je faisais de l’athlétisme, je jouais au basketball, au handball et au volleyball. J’ai arbitré pour la toute première fois en 1985 à Lomé, quand j’avais 23 ans. C’était lors d’un match amical de football entre les Anges et les Aigles, organisé par « Da Yovo ». En l’absence de l’une des équipes, l’autre s’est scindée en deux pour disputer une rencontre d’entraînement. 

Je fus désignée juge de touche et c’est là que tout a commencé. J’avais assumé ce rôle, sans grande difficulté. À la fin du match, beaucoup ont apprécié et m’ont félicité. C’est depuis ce jour que j’ai décidé d’apprendre le métier d’arbitre. J’ai débuté les cours d’arbitrage qui étaient dispensés tous les mardi soir à 18 heures, à l’école officielle de Nyékonakpoè au niveau de la Mairie. Je faisais la pratique lors des matchs corporatifs et scolaires. 

A cette époque où l’arbitrage est considéré comme un travail d’homme, quelles ont été les difficultés auxquelles vous vous êtes confrontées ?

(Soupires…). On disait que si les hommes ne faisaient pas les choses comme il faut, ce sont les femmes qui vont le faire ? Des fois, les gens m’insultaient et me traitaient de bordel parce que j’étais souvent la seule fille parmi les garçons. C’était difficile pour moi car en ce temps (ndlr, dans les années 80) les gens ne comprenaient pas que la femme aussi peut faire ça (ndlr, être arbitre). 

Malgré les difficultés, certains croyaient-ils en vous ?

Malgré les adversités, beaucoup me soutenaient et m’encourageaient. Dans les désignations des matchs, les gens demandaient à nos patrons qu’on mette la seule femme arbitre dans le trio arbitral ; qu’ils veulent me voir diriger le match. J’ai beaucoup officié les matchs masculins de district, des tournois et des matchs de SYNBANK et nombreux m’ont sollicité pour les rencontres amicales pour me voir arbitrer car ils estiment que je siffle bien pour une femme. 

Parmi tous les matchs que vous avez arbitrés, lesquels vous ont le plus marqués ? 

Premièrement, c’était le match amical entre l’équipe nationale féminine suisse et l’équipe masculine cadette du Togo, disputée au stade Omnisport de Lomé. J’étais l’arbitre centrale de la rencontre. Il y a également un match que j’avais fait en tant qu’arbitre centrale à Ablogamé, terrain ASFOSA. A la fin de la rencontre, les supporters ont couru vers moi pour me donner de l’argent en me félicitant de ma prestation. Je leur ai dit que je n’en voulais pas mais ils insistaient. J’étais obligée de fuir pour rentrer dans les vestiaires (sourires…). 

Un autre match m’a également marqué, c’était une finale à Jean-Paul II. Le jour-là, j’étais arbitre de touche. Après le match, les supporters de l’équipe perdante sont venus vers nous les arbitres pour nous frapper. Nous avons fui pour nous cacher dans une maison. La sécurité a intervenu après et on est finalement rentré chez nous. Cela m’a beaucoup marqué mais loin de me décourager, cela m’a plutôt renforcé car j’aimais ce que je faisais.

Archives photos d’Aku AKATO

Football, basketball, volleyball, handball, arbitrage… que retenir de votre parcours omnisport ?

Entre 1970 et 1995, j’ai été athlète de Lomé II et de l’Equipe nationale de Lomé. De 1975 à 1997, je fus basketteuse de l’ASFOSA et de l’Equipe nationale de Lomé. J’ai été joueuse de football de l’équipe « Les Anges » et de la sélection de Lomé en 1974. Entre 1984 et 1985, j’ai été basketteuse de l’ASEC MIMOSA d’Abidjan (Côte d’Ivoire). En 1985, j’ai débuté l’arbitrage avec une formation pratique d’arbitrage féminin à Lomé. De 1991 à 1992, j’ai suivi une formation pratique d’arbitrage féminin à Abidjan. J’ai assuré la vice-présidence de l’Equipe féminine de football Royal Star de 1992 à 1993. 

Du 10 au 17 novembre 1994, j’ai participé au stage d’Arbitrage International niveau 2 CAF, à Lomé. En mars 1998, j’ai pris part au stage de la Solidarité olympique sur la promotion du sport féminin tenu à Lomé sous les auspices du Comité Olympique Togo. Depuis 1998, je suis membre du corps arbitral de l’équipe de football les souffleurs. Depuis 1999, je suis présidente de l’équipe féminine de football Royal Star mais l’équipe n’existe plus. De 1999 à 2006, j’ai été conseillère de football féminin dans le District numéro 5 Lomé, également chargée de football féminin dans le même district. Il y a 5 ans, j’ai suivi la formation des commissaires de match à Lomé.

Aujourd’hui vous avez déposé le sifflet, qu’est-ce qui a ouvert votre porte de sortie ?

En 1999, je suis tombée enceinte et j’ai accouché en l’an 2000. C’est à cause de l’accouchement que j’ai commencé par cesser un peu. Après j’ai repris. Mais, petit à petit, je n’arrivais plus à aller arbitrer les matchs comme avant parce que je ne pouvais pas laisser mon enfant. Tout de même, je n’ai pas complètement laissé. Je faisais des matchs amicaux. Des fois, je suis le 4e assistant. Je m’entraîne avec quelques équipes notamment celle des Policiers et les Souffleurs. Ça me permet de m’exercer pour ne pas perdre la main.

Après votre carrière d’arbitrage, à quoi vous êtes-vous consacrée ?

Je suis couturière donc je fais la couture à la maison mais maintenant je n’y arrive plus à cause de mon âge. Pour mettre le fil dans l’aiguille c’est compliqué pour mes yeux (rires…). J’avais travaillé à l’Assurance GMC, à la microfinance MICROFON. J’avais également travaillé à l’Université ADONAI et c’est après cela que suis restée définitivement à la maison. Maintenant, je fais du savon liquide que je vends. Cela ne suffit pas et je réfléchis à comment faire pour ajouter d’autres activités génératrices de revenus.

Ma fille est à l’Université donc il me faut les moyens pour la soutenir. Je consacre également mes jours à la religion chrétienne. Etant la benjamine de mon défunt papa qui fut le 40è pasteur de l’Eglise Evangélique Presbytérienne du Togo (EEPT), la vie religieuse a fait partie de mon enfance et j’ai gardé la foi jusqu’alors.

Actuellement, je fais partie de la grande chorale « Hadjihagan » et de la chorale œcuménique « Mawu fe nuse » de l’EEPT paroisse district de Tokoin Wuiti. Je suis la fondatrice de « Gloria Bôbôbô » de la même paroisse et l’une des fondatrices de la Fédération des groupes folkloriques et bôbôbô de l’Eglise Evangélique Presbytérienne du Togo.

Quelles sont vos satisfactions au cours de votre carrière d’arbitre ? 

J’ai eu la chance d’avoir des connaissances en arbitrage. Mon statut de première femme arbitre m’ouvrait certaines portes. Le 16 avril 2014, j’ai reçu un diplôme de membre d’honneur de la Sous-Commission des Arbitres (SOUS-CRA) du District numéro 5 de football. Le 8 mars 2011, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la femme, APOTO m’a décerné le trophée de Doyenne des arbitres dames du Togo. 

Avec le recul sur votre parcours d’arbitrage, avez-vous des regrets ?

Oui, mon regret est de n’avoir pas pu devenir arbitre internationale. L’un des freins a été le fait d’être restée au niveau District alors que je pouvais passer au niveau Ligue à travers l’examen qui n’a pas été fructueux pour moi. Cette situation m’avait découragée, j’avoue.

Aujourd’hui, quelle est votre place dans la sphère arbitrale togolaise ? 

J’avais fait partie du bureau de l’Association de football féminin à la Ligue où j’avais eu la chance de faire des matchs en tant que commissaire au match. Aujourd’hui, comme je ne suis plus dans le bureau, c’est parti comme ça. Après, j’ai demandé à être dans un bureau ou association au niveau des structure comme la FTF mais rien jusqu’alors. Moi je veux bien continuer à œuvrer pour le sport au Togo, aider mes jeunes sœurs qui viennent, mais hélas.

Quel est votre regard sur l’arbitrage féminin au Togo aujourd’hui ?

L’arbitrage féminin au Togo a évolué. Il y a de l’amélioration, contrairement à mon époque où il n’y avait pratiquement rien. Moi je n’ai pas eu cette chance mais on ne force pas son destin. 

Quelle appréciation faites-vous de la prestation des arbitres féminins de nos jours ?

Malheureusement, je n’arrive plus à accéder aux stades comme avant pour suivre les matchs. Je suis obligée de payer des tickets et ce n’est pas aisé. Donc je n’ai pas la facilité d’aller suivre les matchs afin d’apprécier véritablement la prestation de nos arbitres, de mes sœurs. J’ai le sentiment d’être de plus en plus coupée du monde sportif et arbitral.

Votre mot de fin…

J’invite mes sœurs à venir au sport car d’abord c’est bon pour leur santé. Je les exhorte à faire l’arbitrage car nous avons besoin des filles et c’est un bon métier avec des opportunités aujourd’hui qui peuvent beaucoup les aider dans l’avenir.

Edem Attipoe